Chère Madame Baudet,
La votation sur la loi sur l’assurance-maladie en décembre 1994 est l’un de mes souvenirs les plus présents. J’étais alors conseillère fédérale et responsable de ce dossier.
Aujourd’hui, j’aimerais vous inviter à vous remémorer cette période avec moi. Avant que la campagne de votation sur l’initiative d’allègement des primes ne démarre vraiment, il y a en effet quelques éléments que je tiens absolument à rappeler.
Ce qui est difficilement imaginable pour les jeunes générations était encore une réalité au début des années 90 : beaucoup trop de personnes pauvres et malades n’avaient pas d’assurance-maladie du tout ou une assurance avec des prestations limitées. Les premières parce qu’elles ne pouvaient pas payer la prime et les secondes parce que les caisses avaient le droit de les refuser ou de ne prendre en charge que certains frais. Si ces personnes avaient besoin d’un traitement médical, elles devaient en assumer elles-mêmes les coûts. Il n’était pas rare qu’elles attendent trop longtemps avant de consulter un médecin et que celui-ci ne puisse plus les soigner.
Remédier à cette situation intolérable était mon objectif principal lorsque j’ai commencé à travailler sur la nouvelle loi sur l’assurance-maladie au Conseil fédéral. Mais pour que cela soit possible, il fallait que certaines parties du camp bourgeois y participent. La principale concession nécessaire à cet effet concernait les primes que les assuré-es paieraient. Il aurait été judicieux de prévoir un financement en fonction du revenu ou de la fortune, comme c’est le cas pour toutes les autres assurances sociales. Mais les partis bourgeois ont catégoriquement rejeté cette idée.
En guise de compromis, il a été décidé de maintenir des primes par tête, complétées par des réductions de primes individuelles. Nous voulions ainsi garantir que les ménages à bas et moyens revenus ne soient pas trop lourdement taxés. Que les familles ne soient pas pénalisées. Mais quel devrait être le montant de cette réduction de primes ? Le Conseil fédéral a chargé une commission d’expert-es d’élaborer une proposition. Selon ses calculs, si aucun ménage ne devait consacrer plus de 7% de son revenu disponible à la prime, environ la moitié de la population aurait droit à une réduction de primes. Pour le Conseil fédéral et le Parlement, c’était trop. Ils se sont mis d’accord sur l’objectif de 8%. En sachant qu’un tiers des assuré-es bénéficieraient d’une réduction !
Dès lors, ce chiffre a été très présent dans les débats parlementaires et surtout dans la campagne de votation. La promesse faite à la population était claire : si les primes augmentaient – et on partait de ce principe – la réduction des primes augmenterait également. Avec l’objectif qu’aucun ménage ne devrait consacrer plus de 8 % de son revenu disponible à l’assurance-maladie.
La loi a été adoptée. Mais aujourd’hui, 30 ans plus tard, nous sommes loin de cet objectif. Rien qu’au cours des 20 dernières années, les primes ont plus que doublé. Dans le même temps, de nombreux cantons économisent sur les réductions des primes. Résultat : de plus en plus de personnes sont laissées seules face à la hausse des primes. Pour boucler le mois, elles n’ont souvent pas d’autre choix que d’opter pour la franchise la plus élevée. Et cela a pour conséquence que de plus en plus de personnes renoncent à consulter un médecin en cas de maladie ou d’accident pour des raisons financières. Comme à l’époque, avant l’introduction de la loi sur l’assurance-maladie.
Le 9 juin, nous avons la possibilité de corriger cette évolution. Ce que nous aurions déjà dû faire dans les années 90, nous pouvons maintenant le rattraper : le plafonnement des primes d’assurance-maladie. Ce serait un jalon sur la voie d’une Suisse solidaire.
Merci pour votre engagement,
Ruth Dreifuss